|
Présentation de Laurent NICAULT
par Philippe JEANNERET, chroniqueur au Havre Libre,
et au
magazine Tangente Jeux
En 2002, Laurent NICAULT est devenu le champion de France du jeu de
dames. Titre qu’il confirma l’année suivante et qu’il aura à cœur de
conserver cette année encore à Compiègne.
Il aura fallu attendre quinze ans pour que le jeu de dames français
voit l’un de ses plus brillants talents s‘emparer d’un titre qui lui
échappait de façon incompréhensible pour les connaisseurs et ses
amis joueurs.
On ne devient pas champion de France par hasard même s’il arrive
quelquefois que la réussite soit au rendez-vous dans la sacro-sainte
série Nationale, celle où les meilleurs joueurs de l’hexagone
s’affrontent dans cette joute annuelle qu’est le championnat de
France. Les jeunes joueurs des autres séries rêvent d’atteindre un
jour cette estrade, parce qu’ils savent qu’alors leurs parties
seront difficiles, riches de manœuvres inédites, belles et/ou
insensées. 15 ans que Laurent NICAULT est en haut de l’affiche avec
beaucoup de joueurs d’une même génération rejoint depuis le milieu
des années 90 par le phénomène Arnaud Cordier, meilleur joueur
français actuel. Ingénieurs, polytechnicien, mathématiciens pour la
plupart, ils ont surtout pour point commun une intelligence du jeu
telle qu’il faudra attendre encore longtemps pour qu’ils cèdent leur
place à de jeunes autres talents.
Laurent NICAULT découvre le jeu au début des années 80 et en 1985,
il devient champion de France cadets. Il lui faudra attendre bien
plus longtemps pour décrocher un titre plus significatif. En 1987,
il décroche pourtant une très inattendue place de vice champion du
monde junior. Ce n’est pas que son talent soit mis en doute, c’est
simplement le fait que la France est depuis longtemps moquée dans
les grands rendez-vous internationaux. Dans ces années 80, le titre
de champion du monde du lillois Pierre GHESTEM n’est plus qu’un très
lointain souvenir.
Alors, évidemment, en 1987, les Damistes français qui ne sont plus
habitués à ce que l’un des siens côtoie les stars internationales du
damier, lui donnent un statut instantané. D’autant plus que l’année
suivante, Laurent NICAULT, pour sa rentrée dans la série Nationale,
finit 3ème. C’est certain cette fois-ci, la France a
découvert un nouveau génie. Son ascension est si rapide que seul un
don très particulier peut expliquer ses performances tant son
expérience du haut niveau n’est encore que très limitée. En 1989, 2ème
derrière José BEYAERT, il ne concède aucune défaite, nouveau signe
d’une grande classe. Mais cette performance, il ne la renouvellera
pas souvent.
En ce début des années 90, il est donc loin le temps où L. NICAULT a
découvert, tel une pomme qui tombe selon sa propre expression, le
vrai jeu de dames. Mais ce géant s’est très vite appuyé sur les
épaules d’autres géants. Il se délecte dès ses débuts à la lecture
des chroniques du légendaire Ton SIJBRANDS, champion du monde 1973
et figure charismatique du jeu de dames international. Un vieux
monsieur à ses débuts lui avait offert, tel un grimoire, « Comment
je suis devenu champion du monde » de Pierre GHESTEM. Il n’en
fallait pas plus pour se transformer en un Harry Potter du jeu de
dames, cet air juvénile, allié à une myopie qui avec ses lunettes
lui donne ce regard doux et brillant à la fois. Certains lui
trouveraient maintenant plutôt un petit air chafouin d’Alain Chabat
Très vite, le personnage Laurent Nicault, joueur, est créé. S’il
joue le mercredi, on verra non loin du damier, le canard enchaîné.
On ne déroge pas à certaines habitudes. Il est intransigeant sur le
respect que l’on doit au jeu. Il n’admet pas la malhonnêteté
ludique, celle qui consiste pour certains à minimiser leur défaite.
Ses gaffes, il les assume sans jamais les mettre en avant. S’il
perd, il encaisse, toujours avec le respect pour son adversaire.
Quant à lui parler de votre partie en cours ou à commenter une
partie qu’il est en train de jouer, il faudra l’éviter tant son
regard peut alors vous toiser. Flagrant délit d’incorrection. Quand
vous le croisez alors qu’il dispute un match important, il semble
absent, absorbé dans sa partie en cours, même si le soir il sera
capable de proposer une meilleure suite à celle qui fut jouée sur un
damier où il arrêta son regard.
Le jeu, il l’aime tel qu’il est avec ses règles actuelles. La beauté
ne doit pas s’acoquiner avec les impératifs du développement du jeu,
du sponsoring qui accepte quelquefois difficilement le nombre
important de parties remises. Il lui est par exemple difficile
d’imaginer que l’on peut inventer la notion de parties nulles … avec
avantage, tel le système de Delft que cherche à imposer certains
joueurs néerlandais.
Sur le damier, il est l’artiste, qualifié ainsi par de nombreux
observateurs de son jeu, ouvert à tous les styles, de la classique
au plus offensif en passant par l’encerclement. Il se permet à ses
débuts des parties insensées, telles des parties Leningrad,
incompréhensibles pour beaucoup. Les modèles de sa jeune carrière
sont les DYBMAN, WIERSMA, JANSEN … Hans comme il aime le rappeler.
Joueurs qu’il apprécie car ils ont un style propre, identifiable, et
cela est plaisant pour celui qui observe et cherche à comprendre. Au
début des années 90, il est l’un des rares à pratiquer tous les
styles : faux marchand de bois, Roozenburg, classique, … Les
chroniques de Ton SIJBRANDS lui seront alors un précieux moyen de
progression. On comprend alors dans ces années 90 que ce jeune homme
détonne un peu dans une série Nationale en quête de renouveau où
aucun joueur n’est véritablement au-dessus du lot. Il est un des
rares à jouer un jeu engagé même si la série Nationale est fortement
renouvelée, rajeunie, et que le jeu à la française laisse
maintenant plus volontiers place à un jeu plus offensif.
Au-dessus du lot, chacun s’accorde à dire qu’il l’est, lui. Il a pu
réaliser jusqu’à 4 parties en aveugle dans sa période bordelaise. Il
est un compositeur de problèmes très personnels et ceux qui
connaissent ses oeuvres regrettent qu’il n’entretienne pas cet art.
On peut se souvenir aussi qu’en 1991, il imagine en pleine partie
une variante sidérante contre Luc CREVAT avec un gambit de six
pions. Alors comment expliquer que ce joueur, à l’évidence
extrêmement doué, aura du attendre 15 ans pour atteindre la plus
haute marche du podium hexagonal ? Est-ce sa coutumière modestie qui
l’empêche d’imaginer qu’il est au-dessus du lot et prendre
réellement conscience de ce talent ? Il est pourtant des signes qui
ne trompent pas. SIJBRANDS ou WIERSMA l’avaient remarqué depuis
longtemps quand ils évoquaient la potentialité des joueurs français.
En fait, lorsqu’il reparle de ces années d’insuccès, L.
NICAULT admet
qu’il savait pratiquer avec constance l’art de l’auto handicap. Les
championnats des années 90, il les partage avec ses potes dans des
gîtes ruraux où la fête bat son plein. Les apéritifs se prolongent
en même temps qu’on croise le fer sur le damier. Martini Gin pour
tout le monde ou multiples caisses de champagne dénichées à même le
producteur jusqu’à 2h du matin. On se perd un peu dans le bon vin et
les bonnes bouffes. Souvenirs de coq au vin magistral, virées
nocturnes, nuits blanches, alcool et cigarettes par paquets. Cette
impression d’étrange lucidité que l’on découvre le lendemain sur le
damier. Ses amis moins forts s’étonnent qu’ils puissent réaliser
dans ces conditions un superbe gain contre un pauvre hère qui a dû,
lui, bien dormir dans un hôtel silencieux.
Certes … Mais la fatigue s’accumule et L. NICAULT finit toujours par
lâcher prise. Presque une fatalité. Il ne sera jamais champion de
France … pense beaucoup de Damistes. A faire ainsi la fête, il a
toujours, sans évidemment la mettre en avant, une excuse pour ne pas
décrocher le titre. Un titre auquel pourtant, il tient. Cette
reconnaissance sportive, attendue, il la veut à n’en pas douter. Ses
amis le voient, même s’il tente de le cacher, quand il perd toute
illusion après la défaite de trop.
A la fin des années 90, il prend peut être un peu de recul sur le
jeu. Il découvre le plaisir du chroniqueur. Il écrit une série
d’articles sur la démarche cognitive du joueur de dames, d’abord
pour la revue DAMES puis pour l’EFFORT. Articles qui montrent une
fois de plus son unicité dans le monde du jeu de dames. Pour ces
chroniques, qu’il veut faire partager au plus grand nombre, il
retravaille les fondements du jeu, en particulier la fondamentale
notion de blocages élémentaires. Ces années voient également
l’émergence d’un autre talent d’exception : Arnaud Cordier, actuel
meilleur joueur français.
L’obstacle est de taille. Outre son talent, Arnaud Cordier est un
compétiteur redoutable, alliant parfaitement la psychologie de
l’affrontement, un don tactique et un grand sens du jeu de tempo.
Laurent NICAULT a changé, c’est certain. Si à ses débuts, il prenait
souvent l’avantage contre ses adversaires, c’est le milieu de partie
où il gâchait ses chances. Il est devenu plus compétiteur, plus
efficace et ne renâcle plus à faire remise dans des positions non
garanties de succès. Ces milieux, comme dirait G. DELMOTTE, il les
réalise en allant au turbin, en calculant beaucoup plus et en
prévoyant des portes de sorties. Des débuts archi-étudiés, il a
gardé l’ossature et apprécie rentrer dans des variations par rapport
à des trames connues. En ce début d’années 2000, les choses ont
changé pour Laurent NICAULT et sportivement, il semble être prêt
pour la plus haute marche. En 1999, un premier déclic s’opère chez
Laurent avec sa victoire devant Guntis VALNERIS et Djédjé KOUASSI,
entre autres, au tournoi international du Havre. Même s’il ne gagne
pas encore les GMI, son complexe a diminué.
Arnaud Cordier et Laurent NICAULT s’estiment et ont plaisir à lutter
ensemble. Ce début d’années 2000 voit une saine émulation s’emparer
d’eux car le public DAMISTE a hâte de voir cet affrontement. Les
premiers succès d’A. CORDIER se font sans la présence de L.
NICAULT
tandis que le premier titre de L. NICAULT voit l’absence lors de ce
championnat 2002 d’A. Cordier. L’année 2003 verra la confirmation de
son titre et une légitimité accrue par la présence cette fois-ci
d’Arnaud, relégué à deux points derrière après qu’il eut perdu de
J.L. CLEMENT.
L’année 2004 sera certainement un point d’orgue à cette lutte
sportive. Les deux joueurs connaissent l’adversaire principal de ce
championnat et la bataille se fera le plus souvent à distance,
contre d’autres joueurs même s’il ne faut pas oublier un outsider
tel André BERCOT. Ce championnat promet d’être passionnant et les
joueurs de dames des années 2000 peuvent se réjouir de compter dans
leurs rangs ces deux grands champions. Il faut rappeler aussi le
temps que ces deux là passent à diffuser leurs connaissances.
Laurent NICAULT, outre des stages qu’il organisa à Granville,
accepte volontiers les invitations à réaliser des simultanées et il
est depuis 2004 le rédacteur en chef de la revue officielle de la
FFJD. Jouer contre plus faible ne l’ennuie pas et ceux qui le
côtoient savent ce qu’ils doivent à leur progrès sur le damier … et
pour certains l’art de confectionner un bon foie gras ou … de
grandes sauces.
Le championnat de France 2004 promet, ce sera un grand cru.
Cela s’arrose …
Champagne !
Philippe JEANNERET
|
|